Avec le temps, tout s'apprend..

Je ne veux plus faire ce métier m'as tu dis. Tu es étudiant infirmier , un homme fort qui a déjà vécu une vie avant celle là comme tu dis si bien, et qui pourtant pleurait discrètement dans les toilettes du personnel. Assez discrètement pour te sentir en sécurité mais assez fort quand même pour que le bruit de tes larmes m'interpelle au détour du couloir. Tu es entré dans cette chambre, un matin commun à un autre depuis le début du stage.  Dans le feu des deux premières heures du matin, tu es arrivé avec ton sourire et ta bonne humeur pour prendre les constantes de cette patiente qui devait retourner chez elle dans la matinée.  Tu as découvert son corps sans vie dans ce lit, son corps endormi et apaisé de toutes les souffrances de 96 ans de bons et loyaux services au service de la vie. Et tu es ressorti comme tu étais entré, partant en courant vers les toilettes.  

Je ne veux plus faire ce métier m'as tu dis. Tu es étudiant infirmier et certaines souffrances te sont trop difficiles à accepter. Heureusement t'ai je dis. C'est l'inverse qui serait inquiétant.  Pleure tant que tu en as besoin et retournes dans cette chambre si cela peut t'aider. Mais notre métier, c'est aussi ça.  Et c'est autant de ces moments difficiles, de ces moments de vie qui le rendent aussi enrichissant. J'ai commencé à t'expliquer mon premier décès, la boule au ventre et ces soignants qui, pour me former disaient ils, m'avaient fait faire seule la toilette mortuaire devant toute l'équipe. Je t'ai raconté le deuxième décès, celui d'un enfant, et mes larmes que je n'avais pas pu retenir devant la maman de ce jeune garçon dont je me rappelle encore aujourd'hui les traits du visage, son dessin animé préféré ou la couleur de ses yeux. Tu vois, personne ne sait vraiment comment s'y prendre et on apprend avec le temps, sans se forger vraiment.  Sous prétexte que nous sommes soignants, devons nous vraiment devenir insensible au corps fatigué, à la mort, aux cris de désespoir de la famille ? 

Je ne veux plus faire ce métier m'as tu dis. Et je me suis mise à sourire en te racontant les moments beaucoup plus légers, ceux qui nous rappellent à quel point nous sommes privilégiés d'être soignants.  Je t'ai raconté cette jeune dame que j'ai rencontré lors d'un stage, qui préparait sa mort prochaine avec le sourire et qui me demandait des conseils sur la couleur de la plaque de son caveau, je t'ai aussi raconté que mes larmes ont coulé de tristesse mais aussi de joies. J'ai assisté à l'annonce de rémission d'un cancer d'un petit garçon. J'étais dans le bureau quand ses parents se sont mis à genoux pour remercier la vie, le ciel et tout ce en quoi ils pouvaient croire.  Et j'ai pleuré beaucoup, le médecin aussi pleurait beaucoup. Tu vois chacun fait comme il peut avec ses émotions du moment.  J'ai aussi fait du skateboard dans le couloir d'un hôpital avec une belle chute  à la clef, pour faire plaisir à une petite fille. Notre métier, ce n'est pas seulement faire des prises de sang. C'est aussi tout ça, et en te le racontant, je me rappelle moi aussi pourquoi je l'ai choisi, je me souviens pourquoi je supporte certains jours plus difficiles que d'autres.  Et rassure-toi, tu seras toi aussi un superbe infirmier. Te poser la question, c'est avoir déjà gagné avec une belle longueur d'avance.