Jai longtemps cru que le plus difficile était de te voir mourir, le dernier souffle, la fin de la vie. Cest ce qu'ils croient aussi. Je ne pourrai pas faire ton métier disent-ils. Pourtant jai connu pire. Pire que ta mort et que le cri de tristesse de tes enfants. Pire que l'annonce de la fin, pire que le sentiment d'échec après un long combat souvent perdu d'avance contre la maladie. Un coup de téléphone, puis deux. Il faut se préparer, mobiliser une partie de l'équipe et préparer l'environnement. Tu arrives d'ici quinze minutes dans ce service qui a déja été ta maison quelques semaines durant il y a trois mois maintenant. Je me rappelle de toi, une fin de garde de douze heures, la fatigue et l'urgence de ta prise en charge devant le tableau sceptique de tes symptômes cliniques. Un cathéter infecté et la température que nous n'arrivions pas a maitriser. Tu t'en rappelles sûrement aussi. Nous avions passé de longs moments ensemble , a rire de tout et à parler des jeunes enfants que tu as et de ceux que je n'ai pas encore. Il faut se préparer m'as tu dis au téléphone, elle a décompensé.
Du bout du couloir, j'ai entendu tes cris. Dix personnes autour de toi et ce brancard qui arrivait à toute vitesse. Ton mari inconsolable et ta plus jeune fille dans la poussette avec les couettes pas très droites que tu lui as fais ce matin. Aujourd'hui, jai connu pire que la mort, j'ai connu la détresse, tes quatre membres attachés et tes cris presques inaudibles, tes bonds sur le brancard et tes insultes qui fusaient à une vitesse folle. Nous étions tous là autour de toi, impuissants. Nous on sait soigner le corps, la crise d'épilepsie ou la détresse respiratoire. Quelquefois, dans les jours les plus heureux, nous arrivons même à faire repartir des coeurs qui ne battent plus. Mais contre tes cris et ta détresse, nous n'avons rien. Rien à part de quoi te faire dormir pour t'apaiser quelques instants. Nous n'avons rien non plus pour effacer cette image du cerveau de ton mari. Aujourd'hui j'ai connu pire que la mort, j'ai connu la vie qui s'exprime dans tes yeux, comme pour nous dire de ne pas oublier, qu'encore une fois, cest elle qui a le dernier mot.
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